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Prospective de l’exploration spatiale

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© Olivier Boisard - 2006-2013

 

VAISSEAUX

Des grands marins ont fini par admettre que ce qui les attirait le plus, ce n’était pas tant la mer que les bateaux. L’espace n’est pas seulement un lieu d’exploration, c’est aussi un lieu de construction. L’imagination a besoin de voyager. Elle a plus encore besoin de créer ...

Tall Ship Race - Cherbourg - 2005 - Photo OB

LE DERNIER COUTEAU SUISSE


Dans l’imaginaire, l’objet vaisseau spatial occupe un statut particulier. C’est, d’une certaine façon, une "extrapolation" du couteau suisse, qui ne doit plus seulement répondre à trois, quatre ou cinq fonctions utilitaires, mais à toutes les fonctions nécessaires à la vie, dans le milieu hostile de l’espace. Il ne repose sur rien (de matériel). Il avance dans le vide. Il est totalement isolé de sa planète d’origine, sinon par des communications radio qui, avec la distance, mettront des minutes puis des heures à parvenir à destination. Il doit subvenir à tous les besoins de ses occupants, y compris recréer une atmosphère et – si nécessaire – une gravitation artificielle…

Le vaisseau spatial est donc le stade ultime de l’outil, dont le point d’origine était peut-être, comme le suggère le beau raccourci de 2001 l’Odyssée de l’Espace, un simple os utilisé comme massue. C’est un aboutissement technologique s’appuyant sur le savoir et la maîtrise du feu, comme les secrets confiés à l’homme par le titan Prométhée.C’est une construction complexe qui rejoint le ciel, comme la tour de Babel.

Mais Prométhée sera puni par Zeus pour avoir dévoilé ses secrets, la tour de Babel sera détruite, le vaisseau de 2001 deviendra.. incontrôlable, ..et – la réalité.. n’oublie.. hélas pas le mythe - deux navettes spatiales exploseront tragiquement en vol…Pourquoi tant d’intérêt pour des histoires qui, comme d’autres, finissent toujours mal ?

2001, L'Odyssée de l'Espace

L'AVENTURE SPATIALE EST UN ROMAN, ET TOUT LE RESTE EST LITTERATURE ...

Il faut d’abord remarquer que le vaisseau spatial, avant de traverser l’espace, commence ses voyages dans des histoires, des romans, voire des mythes.

Alors qu’à partir des XVI et XVIIième siècles le ciel prenait une consistance scientifique, de nombreux romanciers ont voyagé dans ce nouveau monde, le plus souvent comme un prétexte pour porter un regard critique – voire satirique – sur les sociétés de la planète Terre. C’est le cas de Cyrano de Bergerac dans l’Histoire comique des Etats et Empires de la Lune et du Soleil, qui, entre deux modes de propulsion plus fantaisistes inventés pour atteindre la Lune, a l’intuition remarquable d’un système utilisant « quantité de fusées volantes », configurées de telle sorte que « dès que la flamme eut dévoré un rang de fusées, qu’on avait disposées six à six, par le moyen d’une amorce qui bordait chaque demi-douzaine, un autre étage s’embrasait, puis un autre » . Dans trois siècles, une même fusée à étages emportera le vaisseau Apollo vers la Lune ...

Plus tard, Voltaire survolera lui aussi les reflets de la Terre dans le système solaire avec Micromegas. Rappelons que, sur un plan plus scientifique, c’est lui qui fera connaître en France, en les publiant, les travaux de Newton sur la gravitation universelle.

On attribue généralement à Jules Verne la création d’un genre littéraire nouveau, la science-fiction, dont un des thèmes majeurs est l’exploration de l’espace. Le vaisseau spatial y apparaît toujours comme une projection du contexte économique, social ou politique de l’époque.

Le vaisseau « pionnier » de la science-fiction est un produit du XIXième siècle, un produit de l’ère industrielle. C’est un engin parfois laborieusement bricolé à partir des connaissances technologiques du moment, dérivant du ballon dirigeable, de la catapulte ou du boulet de canon. Sa crédibilité repose essentiellement sur les talents littéraires de l’auteur : Jules Verne tente de convaincre, dans De la Terre à la Lune, que l’accélération à l’intérieur du boulet sera supportée par ses passagers grâce à un hypothétique système d’amortisseurs hydrauliques ; Edgar Poe, dans Aventures sans pareil d’un certain Hans Pfaal, suppose que l’atmosphère ne disparaît pas tout à fait dans l’espace, et grâce à un « compresseur », atteint la Lune en ballon ; H.G. Wells, dans Les premiers hommes sur la Lune, invente lui pour s’élever dans les airs un matériau imperméable à la gravitation …

Amazing stories, 1935

Dans les années 1920 – 1930, se développe une nouvelle image « futuriste » de la conquête spatiale, notamment dans les comics américains. La force poétique de cette image populaire s’imposera au point de créer un ensemble de codes visuels très forts qui subsistent dans l’imaginaire, comme le fait d’assimiler aujourd’hui encore, par exemple, le vaisseau spatial à la fusée ou à la soucoupe volante. Elle donnera naissance au Space Opéra, équivalent dans l’espace du Western inventé quelques années plus tard par Hollywood.

Dès les origines du cinéma, Mélies lui-même met en scène, à la façon d’une opérette, Le Voyage dans la lune, qui sera au début du XXième siècle le premier film de fiction à connaître un succès mondial. En 1929, Fritz Lang tente à son tour le voyage dans la Femme sur la Lune, avec cette fois-ci un réel souci de réalisme technologique. Il prendra d’ailleurs comme conseiller scientifique lors du tournage le pionnier de l’astronautique Hermann Oberth.

Mélies, Voyage dans la Lune

A l’inverse, des scientifiques s’emparent très tôt de la science-fiction pour vulgariser leurs idées. C’est le cas de Constantin Tsiolkovsky, considéré comme un des premiers grands visionnaires de l’exploration spatiale, qui publiera en 1903 son roman Hors de la Terre dans lequel il décrit une station spatiale longue de cent mètres destinée à abriter une colonie autonome.

Mais pour imaginer des vaisseaux interplanétaires il faudra d’abord des mots, absents du vocabulaire lorsque apparaît la science-fiction. Ce n’est pas un hasard si de nombreux termes de l’astronautique ont été empruntés à l’aéronautique qui, en son temps, en a emprunté à la marine. Le mot « astronautique » lui-même a été inventé dans les années 1930 par l’écrivain Rosny Aisné – auteur entre autres de La guerre du feu – avant d’être consacré dans un ouvrage technique, qui en fait son titre, publié par le scientifique Esnault Pelterie.

Peu à peu la littérature de science fiction, la science elle-même, puis l’actualité de l’espace brutalement surgie en 1957 avec le lancement du Spoutnik, ont forgé un vocabulaire qui permettait enfin de « construire » dans l’espace.

Moteur fusée. Dessins de C. Tsiolkowsky

L'ESPACE DES SYMBOLES


Le vaisseau spatial est avant tout un objet chargé d’un très fort symbolisme. C’est une machine complexe, donc mystérieuse, qui n’est que le reflet d’un autre labyrinthe, celui des organisations humaines qui l’ont rêvée, puis construite. Les échecs éventuels de cette machine – on s’abstiendra de donner des exemples – sont toujours attribués à la complexité de l’édifice, qui évoque inévitablement le mythe de Babel, et la prétention des bâtisseurs lancés dans des projets semblant défier la nature, en la réinventant.

En ce sens, le vaisseau spatial est un objet utopique, comme le sont toutes les îles – de l’Atlantide de Platon à l’Utopia de Thomas More, de la Cité du Soleil de Campanella à l’île du Capitaine Nemo. Dans l’imaginaire, l’espace ne fait que remplacer l’océan. Comme lui, c’est « une grande substance utopique » .

Le symbole a également une forme. A la fois fusée et œuf protégeant d’un milieu hostile, il renvoie de façon évidente à la psychanalyse. Dans un de ses derniers ouvrages, Un mythe moderne , le psychanalyste C.G. Jung se penche sur ce symbolisme, à travers le phénomène Ovni qui émerge – ce n’est pas une coïncidence – après la deuxième guerre mondiale et alors que se profilent les premiers projets spatiaux. Jung ne s’intéressera pas à la question de l’authenticité des « soucoupes volantes », mais à la réalité – elle, objective – de leur succès dans les médias. Il existe une aspiration profonde à rêver ces objets mystérieux, qui dans le contexte de l’époque se cristallise sur des engins spatiaux – certes d’origine extraterrestre supposée - associant de façon paradoxale la science et l’irrationnel, comme une transposition de mythes vers des représentations contemporaines plus facilement «acceptables». Les formes de ces objets en cigare ou en soucoupe, popularisées par la science-fiction, rappellent pourtant des symboles universels, tels que la forme phallique de la Fleur de Lys, ou le cercle de la mandala, présents dans toutes les cultures, y compris les plus anciennes.

Amazing Stories, 1935

Labyrinthe, tour de Babel, construction utopique, symbole psychanalytique : dans l’espace de l’imaginaire, le vaisseau spatial n’est pas soumis qu’aux seules forces de la gravitation … Gaston Bachelard parlera du « complexe de Prométhée », défini comme le «complexe d’œdipe de l’intellect » , associant le désir de savoir et de construire à une probable culpabilité. Le «passage à l’acte» de l’ère spatiale, avec le lancement du premier Spoutnik en 1957 puis l’arrivée de l’homme sur la Lune en 1969, marquera une avancée décisive de l’homme à la frontière de ses désirs et de ses craintes.

MOBILIS IN MOBILE

Comme le Nautilus, tout navire spatial est « mobile dans un élément mobile ». Même une « station » orbitale est, malgré son nom, en mouvement dans un espace où l’immobilisme n’a, dans l’absolu, aucun sens.

La réalité physique de l’espace est en rupture avec l’expérience courante, ce qui contribue à l’éloigner de la Terre, et cantonner le ciel dans le monde des symboles. La simple notion d’apesanteur, par exemple, est souvent mal comprise, et traitée de façon fantaisiste même dans les plus grands films de science-fiction. On pense encore couramment qu’elle apparaît « dans le vide », ou « dès qu’on s’éloigne d’une planète », alors qu’au pied de la lettre – ou plutôt des chiffres – l’attraction de la Terre s’exerce partout dans l’univers, et qu’à l’inverse n’importe qui peut faire l’expérience de l’apesanteur, pour quelques instants, en sautant d’un plongeoir…

Nautilus, Jules Verne

La gravité disparaît à bord d’un véhicule spatial dès qu’il coupe ses moteurs et poursuit sa trajectoire par simple inertie. Il lui suffira de les remettre en marche pour créer une gravitation artificielle. Sera-t-elle, d’ailleurs, artificielle ? La question n’est pas innocente, car elle est à l’origine d’une des plus belles théories du XXième siècle, la Relativité, partant notamment du principe que la gravité due à l’attraction d’une planète est fondamentalement de même nature que celle produite par une accélération.

Puit de gravité

Là où la physique de Newton imaginait des forces d’attraction, la physique contemporaine incitera plutôt à penser la géométrie d’un espace « déformé » localement. Cette idée conduit à une image classique très parlante : le système solaire peut être conçu comme une immense toile souple sur laquelle seraient posées des billes massives correspondant à chaque planète. Chacune de ces billes s’enfonce plus ou moins dans la toile, créant des « puits de gravité ». Pour voyager de la Terre vers Mars, il suffira de produire suffisamment d’énergie pour s’échapper du puit de gravité de la Terre, puis pour freiner à temps afin de ne pas rebondir au-delà de celui de Mars. Le voyage interplanétaire, entre ces deux phases, ne sera en définitive qu’une simple partie de billard ne nécessitant aucune énergie – sinon pour raccourcir la durée du vol.

Le carburant embarqué dans un véhicule spatial n’est donc nécessaire qu’au départ et à l’arrivée, et il serait absurde de chiffrer sa consommation en litres de carburant par kilomètre parcouru. Il aurait suffi d’un très faible surcroît d’énergie pour que le vaisseau Apollo atteigne Mars : l’adversaire dans ce cas aurait été le temps - avec un voyage de plusieurs mois - et non l’espace.

Ce principe justifie à lui seul, par exemple, l’intérêt stratégique de la Lune. Pour s’en convaincre , on peut se rappeler la taille de la fusée géante Saturne V, utilisée pour envoyer Apollo dans l’espace, et la comparer à celle du petit LEM, suffisant pour déposer puis ramener de la Lune deux astronautes : il est infiniment plus économique de décoller de la Lune, ce qui en fait la base idéale pour construire les vaisseaux interplanétaires de demain.

2001, l'Odyssée de l'Espace

UNE QUESTION DE FORME

La plus belle conséquence de cette rupture avec le milieu terrestre apparaît dans l’architecture, qu’il faut entièrement repenser dans les conditions d’apesanteur et de vide spatial. Explorer l’espace c’est aussi – et peut être avant tout – explorer l’espace de la création.

On peut encore s’étonner du « géomorphisme » de nombreuses représentations de la science-fiction, s’obstinant à conserver d’illusoires orientations verticales ou horizontales, là où l’absence de gravité casse définitivement les codes architecturaux traditionnels.

Des formes nouvelles sont à inventer : l’apesanteur permet de construire des structures d’une fragilité inconcevable sur Terre, s’affranchissant des échelles terrestres en se déployant indifféremment dans les trois dimensions. Et dans le vide, le fuselage des formes aérodynamiques est abandonné, pour n’être réservé qu’aux seules navettes assurant des liaisons avec la surface de planètes atmosphériques.

Quelques formes privilégiées subsistent : c’est le cas du cercle, tracé réel ou virtuel d’un habitat en rotation créant à son bord une gravitation artificielle par l’effet de la force centrifuge, la circularité jouant alors le rôle de la ligne l’horizon sur Terre. Ou le triangle, figure géométrique obtenue à partir du plus petit nombre de droites, formant des structures dites isostatiques utiles à la conception d’armatures rigides.

Des contraintes de fabrication incitent à construire les stations spatiales - comme c’est le cas de l’actuelle ISS - à partir d’éléments modulaires assemblés en meccanos géants. Un nouveau pas peut être franchi en créant des « hyperstructures », dont les modules composent des « édifices » d’une taille dépassant le kilomètre, voire la dizaine de kilomètres. La question se pose alors de maintenir la rigidité de l’assemblage : plutôt que s’appuyer sur une improbable armature globale, pourquoi ne pas doter chaque module d’un système propre de micro-propulsion, et d’une intelligence artificielle autonome lui permettant de rectifier en permanence son positionnement dans la structure d’ensemble, comme la « micro-intelligence » d’une fourmi maintient la cohésion de la fourmilière. Des systèmes analogues ont été imaginés dans des zones sismiques, afin de contrecarrer l’effet des tremblements de terre en coordonnant les vibrations de groupes de bâtiments grâce au couplage de vérins placés dans leurs fondations.

Station spatiale - Boeing

Voyager dans l’espace consiste alors à emprunter toute une gamme de véhicules propres à chaque milieu traversé : une navette « atmosphérique » pour les liaisons avec la Terre, puis des vaisseaux assurant - sans jamais revenir au sol – le vol vers la Lune ou Mars, et enfin des modules tels que le LEM d’Apollo, capables de rejoindre la surface d’une planète. Dans le même temps, des engins automatiques - appelés des « tugs » - transfèrent les marchandises d’une orbite à une autre. La correspondance pourra s’effectuer à bord de stations, à proximité de la Terre ou « ancrées » sur des points de Lagrange, jouant le rôle de véritables « gares » de l’espace.

Certains « hyperinstruments » peuvent aussi s’affranchir de tout contact matériel entre leurs composantes modulaires. Ce serait le cas des «hypetéléscopes », basés sur une constellation de satellites disséminés dans tout le système solaire, mais dont les pointages sur tel ou tel astre lointain seraient parfaitement synchronisés, fournissant des images d’une résolution à faire rêver tous les astronomes.


Tout naturellement, les formes tendent à se différencier selon leurs fonctions. L’expérience de la Navette Spatiale a démontré les limites des véhicules hybrides, supposés en l’occurrence transporter à la fois des passagers et du fret. Pourquoi, en effet, imposer les contraintes de fiabilité très strictes nécessaires aux vaisseaux habités à l’envoi dans l’espace de simples marchandises ? Le principe des « rendez-vous » spatiaux étant aujourd’hui parfaitement maîtrisé, il est bien plus sûr – et économique – de lancer séparément des petites navettes de passagers dans d’excellentes conditions de confort et de sécurité, puis des cargos lourds automatiques destinés au seul fret.

Module lunaire - Image O.Boisard

International Space Station

Les systèmes de propulsion des vaisseaux – lorsqu’ils en sont dotés – conditionnent leurs formes. Même si des technologies nouvelles sont encore à développer, elles reposeront toutes sur un très petit nombre de principes fondamentaux : tirer parti du milieu ambiant, prendre son élan, ou utiliser le principe de l’action et de la réaction ( mettons de coté pour quelques années encore la téléportation chère à l’équipage de Star Trek, mais dont le principal intérêt industriel était de limiter les coûts de production d’une série télévisée, à une époque ou la technique des effets spéciaux était moins avancée…).

Tirer parti du milieu ambiant est la solution la plus simple. Elle est d’ailleurs déjà utilisée aujourd’hui pour maintenir en permanence dans l’espace près d’un million de personnes… Certes, ce ne sont pas toujours les mêmes, leurs vols n’excèdent jamais quelques heures, et elles ne font qu’emprunter des lignes aériennes à seulement quelques kilomètres au-dessus du sol. Mais dans un avenir proche, l’avion peut devenir le moyen idéal pour franchir la première étape d’un voyage spatial. Bien que très courte, c’est aussi la plus gourmande en énergie car il s’agit de s’échapper du profond puit de gravité de la Terre.

Shuttle II - Image O.Boisard

L’avion spatial sera probablement un engin double, composé d’une aile porteuse destinée à atteindre la haute atmosphère, là où des moteurs de nouvelle génération - tels que des statoréacteurs - peuvent encore exploiter l’oxygène atmosphérique résiduel. Une petite navette habitée s’en décrochera pour rejoindre seule une orbite basse, grâce à l’impulsion finale fournie par ses propres réacteurs.

Le milieu spatial n’est lui-même pas totalement vide. Un jour peut-être des systèmes exploiteront les quelques particules qui y subsistent. Mais avant tout, l’espace est baigné par la lumière solaire. Les petits photons qui la composent exercent une pression très faible – mais non négligeable - au point d ‘orienter à l’opposé du Soleil les longues queues des comètes. Au niveau de la Terre, l’ordre de grandeur de cette pression photonique est comparable au poids exercé par une pièce de monnaie sur une surface équivalente à un terrain de football. Elle permet d’imaginer d’extraordinaires vaisseaux dont le principe de propulsion renoue avec la navigation à voile : les voiliers solaires.

Voilier solaire - Image O.Boisard

Et en l’absence de tout support matériel tangible, pourquoi ne pas construire des rails dans l’espace ? L’idée n’est pas aussi absurde qu’il y parait, et pourrait être utilisée pour relier par de longs câbles deux astéroïdes distants de quelques centaines, voire quelques milliers de kilomètres. Un tel assemblage, mis en très lente rotation, produirait une gravitation artificielle – par les effets de la force centrifuge – à la surface de ces petits blocs rocheux dont la gravité propre est négligeable : les bases habitées construites à la surface de ces « atolls » n’auraient plus à se soucier des contraintes biologiques liées à un long séjour en apesanteur, tout en bénéficiant d’une assise matérielle naturelle de la taille d’une ville ou d’un département.

La fabrication de « rails de l’espace » - composés de chaînes formées par des maillons de dizaines de mètres de diamètres, ou de simples câbles - doit s’appuyer sur de nouveaux matériaux particulièrement résistants, dont la technologie dite des « nanotubes », apparue dans les années 1990, donne dès à présent une première idée. Dans un avenir plus lointain, elle conduirait à une solution originale et efficace pour franchir le puit de gravité de la Terre : l’ascenseur spatial. Celui-ci - dont la réalité n’existe pour l’instant que dans les équations – consisterait à accrocher au niveau de l’équateur terrestre un très long câble de 100.000 kilomètres – le quart de la distance Terre-Lune - s’élevant jusqu’au ciel pour y déposer par de simples cabines d’ascenseur des hommes et des marchandises … La longueur du câble est importante, car elle est nécessaire et suffisante pour que l’ensemble « tienne » par lui-même dans le ciel - comme la corde du fakir des Cigares du Pharaon … - mais sans le recours à une quelconque force surnaturelle et en respectant les lois de la mécanique.

Ascenseur spatial - Image O.Boisard

Prendre son élan est une autre possibilité pour se propulser dans l’espace. Jules Verne l’avait envisagée en lançant un boulet de canon habité vers la Lune. La violence de l’accélération initiale risque toutefois d’écraser dès le départ la charge utile …Ce n’est plus le cas sur la Lune, où la gravitation est cinq fois plus faible que sur Terre, et le frottement atmosphérique nul. Dès les années 1970 étaient imaginées des « catapultes » électromagnétiques, sortes de pistes d’envol de plusieurs kilomètres de long, sur lesquelles des petits véhicules alimentés par l’énergie électrique de panneaux solaires ou de centrales nucléaires, seraient capables d’atteindre une vitesse suffisante pour satelliser, à des coûts très faibles, des minerais lunaires récupérés dans l’espace par des remorqueurs.

N’importe quel engin poursuivant son vol par inertie, sans aucun moteur, peut habilement tirer parti des nombreuses curiosités de la « cartographie » spatiale. La plus surprenante est certainement le rebond gravitationnel, consistant à viser une planète pour y « rebondir » afin d’accroître sa vitesse et atteindre des astres biens plus lointains. La technique a déjà été utilisée lors du remarquable vol de Voyager 2 lancé de la Terre en 1977, rebondissant sur Jupiter en 1979 pour atteindre Saturne en 1981, y rebondir à nouveau vers Uranus - rejoint en 1986 - avant de survoler Neptune en 1989, et poursuivre son voyage éternel au-delà du système solaire. Chacun de ces « rebonds » n’a réclamé, de la part de la sonde, qu’un apport minime d’énergie utile à quelques corrections de trajectoire. Le fait d’augmenter pourtant sa vitesse à chaque étape n’a rien de magique : les planètes survolées ont transféré un peu de leur énergie propre à la sonde, donc ralenti leurs rotations autour du Soleil, mais dans des proportions totalement négligeables compte tenu de leurs tailles. Il est donc possible de traverser le système solaire avec un élan minimal, à condition de viser la bonne trajectoire. Le voyage interplanétaire, avant d’être une question d’énergie, est une question de stratégie.

Voyager 2

Pour longtemps encore, le moteur à réaction restera toutefois le moyen le plus souple pour voyager dans l’espace. Son principal inconvénient est de contraindre le vaisseau à embarquer son propre carburant, nécessairement lourd et limité dans le temps. Il permet en revanche de contrôler à tout moment le vol, et délivrer les forces nécessaires pour franchir rapidement des puits de gravité. Contrairement au moteur à hélices, il n’a pas besoin d’un milieu matériel pour appuyer sa force, qui résulte de l’éjection à grande vitesse d’une certaine quantité de matière.

Moteur fusée

Les moteurs chimiques utilisent un couple explosif tel que l’oxygène et l’hydrogène liquides, particulièrement détonnant, et dont la combustion ne produit que de l’eau sans danger pour l’environnement. Hors de l’atmosphère, un autre type de moteur à réaction est envisageable : éjectant de très faibles quantités de matière, mais à des vitesses considérables – c’est le cas du moteur ionique – il produira une poussée modeste pendant de très longues durées, en ne consommant en définitive qu’une petite quantité de carburant, bien inférieure – pour une énergie délivrée comparable – à celle du moteur chimique.

Une panoplie technologique est à la disposition des bâtisseurs de vaisseaux. Des navigateurs se penchent sur la carte du ciel, et tracent des routes nouvelles, plus loin que l’océan …